On regrettera plus tard
Agnès Ledig
éditions Albin Michel
2016
Tout commence par un quiproquo. Une confusion entre deux Agnès.
"Ah tiens! dis-je à ma collègue du rayon littérature alors que nous nous tenons devant les dernières nouveautés, je vais emprunter On regrettera plus tard. Il me semble que j'ai déjà lu cet auteur et que j'aime bien."
Je vois avec étonnement un combat intérieur se livrer sur les traits de ma collègue. Elle semble sur le point de dire quelque chose mais, finalement, se contente de me lancer "Ah très bien, comme ça tu pourras me dire comment c'est".
Inutile de vous dire que je suis tombée dans un traquenard : j'ai en effet confondu Agnès Desarthe avec Agnès Ledig, une confusion que j'ai très vite regretté.
Un soir d'orage, Eric, qui se trimballe en roulotte avec sa fille Anna-Nina depuis la mort de sa femme soit sept ans (ben quoi c'est une façon comme une autre de faire son deuil) vient chercher refuge dans la maison de Valentine, une instit qui vit dans un village perdu. Bien évidemment, c'est bien connu, comme dans tous les petits villages on est super accueillants, Valentine leur ouvre sa porte, les nourrit et les invite à rester chez eux le temps que Eric répare sa roulotte. Evidemment, elle se se prend très vite d'affection pour la petite qu'elle emmène avec elle à l'école (oui juste comme ça pouf ! Pas besoin d'inscription ni d'assurance, c'est magique) et partage avec le père quelques moments intimes sur la table de la roulotte (je... non rien). Le hic c'est qu'Eric a encore du mal à faire le deuil de sa femme et que Valentine ne supporte pas d'être en couple, traumatisée par l'histoire de sa grand-mère qui a attendu toute sa vie en vain son mari prisonnier des allemands.
Dois-je vraiment revenir sur l'histoire? Je pense que le résumé à lui seul vous donne une idée de la haute volée de ce roman. Je ne reviendrai même pas (enfin un peu quand même c'est trop tentant) sur les clichés qui émaillent le récit : le confort et la simplicité de la vie campagnarde face à l'anonymat de la vie parisienne, la gentillesse de ses habitants (c'est marrant, dans le village de mes parents, les trois quarts votent Front National et lâcheraient les chiens si une roulotte conduit par un inconnu arrivait) et, ah ça j'adore, l'innocence clairvoyante des enfants. Dans On regrettera plus tard, les enfants sont des modèles de pureté et de douceur : les élèves de l'école accueillent Anna-Nina sans problèmes, sans moqueries, ils sont adorables avec elle. Anna-Nina elle-même est une pub vivante pour l'adoption : elle a sept ans mais elle lit très bien, elle ne fait jamais de caprices et elle a déjà tout compris à la vie, ce qui donne lieu à des dialogues d'anthologie : Je pourrais faire quoi pour lui donner envie de lire le prochain chapitre ? Je suis sûre que tu as une petite idée... Lui dire que j'aimerais une autre maman ? Et que ce serait trop cool que ce soit toi ?" Si vous trouvez une gamine qui parle comme ça faites-moi signe : on dirait l'une de ces enfants dans les mauvais films américains, ces petites têtes blondes facétieuses que vous avez envie de claquer au bout de deux minutes. Ce qui m'amène au meilleur, c'est-à-dire au pire de ce roman : les dialogues.
Soyons précise : presque tout le livre est composé de dialogues. Les descriptions c'est trop difficile, l'ignorez-vous ? Le problème c'est que ces dialogues sont atroces : j'ai rarement lu des échanges aussi mauvais et aussi artificiels. Ah le vieux qui vit au fond de son patelin depuis des années mais qui explique avec sagesse au héros que Valentine est "compliquée comme le trafic aérien d'un aéroport international" ou la gamine qui trouve que "les grands réfléchissent trop". La palme revient cependant à Valentine et à son meilleur ami Gaël, instit également, qui, pendant que les gamins se balancent des cailloux dans la cour de l'école, devisent sur la vie, l'amour, la tristesse... Et là c'est l'apothéose, l'avalanche de comparaisons foireuses et de phrases chocs "ça se saurait si elle était simple la vie", "Je suis un livre ouvert, hein ? - Et quelques pages sont écornées, je crois.", "Une réponse sans chaleur, c'est comme un regard qui se pose ailleurs.". J'arrête ou je continue ? Je pense que vous avez saisi l'essence même du style de de Ledig, des sentences brèves, des appels à profiter de la vie, de l'amour et des tables de roulottes et des mauvais dialogues.
Inutile de vous dire que quelques jours après je suis retournée voir ma collègue, fort mécontente. Celle-ci a alors avoué :
"Ben en fait je voulais rien dire parce que j'étais curieuse de connaître ton avis mais ceux qui ont aimé le dernier Ledig ont également beaucoup aimé le dernier Lévy."
Au moins on ne pourra pas dire que moi je ne vous ai pas prévenus.