Les Âmes mortes
Gogol
éditions Gallimard
1842
Tout commence par Pouchkine qui "donne" à son ami Gogol une idée d'histoire : celle d'un opportuniste peu scrupuleux qui parcourrait le pays à la recherche d'âmes mortes. Les âmes mortes dans la Russie du 19e siècle, ce sont ces serfs qui sont morts entre deux recensements et qui, de fait, continuent de vivre de façon administrative. Gogol adopte avec enthousiasme le projet et se lance dans la rédaction des Âmes mortes : Tchitchikov, un homme affable, courtois et énigmatique se lie avec différents propriétaires plus ou moins riches et leur fait une demande curieuse : il leur demande de lui céder leurs serfs décédés et se constitue donc ainsi, petit à petit, un curieux héritage. Mais dans quel but ? Le lecteur ne saura jamais exactement le comment du pourquoi car Les Âmes mortes rendit Gogol fou : après des années d'écriture, il jeta la quasi-totalité de la seconde partie du roman au feu et mourut une semaine après. J'ai envie de dire que c'est plutôt dommage car la première partie du texte est vraiment très réussie : Gogol décrit avec beaucoup d'humour et d'ironie une société russe sclérosée, étouffant sous le poids de la paperasse et de propriétaires sans scrupules. La caricature y est plaisante et on rit volontiers, que ce soit devant le tapageur Nozdriov, roublard qui jouerait sa vie aux dés, ou devant l'éthéré Manilov et sa femme dont la candeur et l'inconsistance sont cruellement soulignés par un auteur en verve. Bien évidemment, le personnage le plus intéressant de l'histoire reste Tchitchikov, ce héros doucereux aux intentions confuses qui adapte son langage en fonction de son interlocuteur et qui a la flexibilité du roseau.
Tout se gâte dans la seconde partie qui n'est d'ailleurs composée que de fragments. Outre que le ton de Gogol se fait plus didactique et plus moralisateur, le récit perd son unité : à peine avez-vous commencé à vous immerger dans une nouvelle situation que la narration s'interrompt brutalement et que vous passez de but en blanc à un autre fragment. Le résultat est inévitable : le lecteur décroche petit à petit jusqu'à perdre tout intérêt pour l'histoire. Dommage. Jamais la notion d'oeuvre inachevée n'a pris autant de sens.