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20 mai 2009 3 20 /05 /mai /2009 21:51

Don Quichotte de la Manche

Miguel de Cervantes Saavedra

Editions du Chêne

 

 

Ce qui est terrible avec les classiques, c’est que, parfois, on en entend tellement parler que, du coup, on peut s’en faire une idée préconçue. Proust et Zola ? « ennuyeux » Céline ? « antisémite » Musil ? « opaque ». Je ne dis pas que ces idées sont fausses, je pense seulement qu’un ouvrage gagnerait toujours à être abordé d’un œil entièrement neuf, sans jugement préconçu et sans arrière-pensée, lire sans partir du principe que par exemple l’on va mortellement s’ennuyer, tout comme un élève qui répugne à lire un livre prescrit par l’école, part du principe qu’un livre étudié en classe est forcément inintéressant.

Parlons de Cervantès et de son célèbre Don Quichotte que je craignais un peu de lire, m’étant déjà forgé mes propres préjugés sur la littérature espagnole en général et le roman picaresque en particulier. Je dois faire aujourd’hui un mea culpa. Car Don Quichotte... et bien c’est vraiment bien.

Don Quixada est un brave gentilhomme espagnol relativement instruit et passionné de livres de chevalerie. Mais son amour pour ce genre de littérature lui coûte la raison. Bientôt il décide de devenir lui-même chevalier errant et de partir en quête d’aventures extraordinaires à travers le vaste monde sur son vieux cheval et accompagné de son fidèle écuyer Sancho Pança, plus ou moins contaminé par la folie de son maître. Rebaptisé Don Quichotte de la Manche pour l’occasion, notre héros prend ainsi des auberges pour des châteaux, des moulins pour des géants, des prostitués pour de nobles princesses, des moines pour de vils enchanteurs… et à la manière des récits d’autrefois clame son amour pour la belle Dulcinée, l’élue de son cœur, une vague paysanne qu’il n’a pour ainsi dire quasi jamais vu. Mais que serait un chevalier sans une dame à servir ?

Personnellement, ma lecture de Don Quichotte m’a inspirée des sentiments assez partagés. Oui, c’est drôle, très drôle même. Car Don Quichotte reprend tous les canons du roman de la chevalerie mais en les parodiant, en les détournant à loisir ou encore en en montrant tout simplement le ridicule. Par exemple, tout comme le chevalier Amadis de Gaule, Don Quichotte, très concentré, décide de ne ni manger ni dormir mais d’utiliser ce temps à penser à Dulcinée, de la même manière qu’Amadis passe son temps à se languir d’Oriane. L’exagération est la même (reportez-vous à la note sur le roman Amadis de Gaule) mais le style est volontairement comique et l’exagération qui pouvait avoir une certaine noblesse dans les romans de chevalerie devient ici tout simplement grotesque.  Pour moi qui n’aime guère le genre de toute manière, imaginez ma joie de le voir tourné en ridicule ! Le comique réside aussi dans le personnage de Sancho, l’écuyer peureux, un tantinet voleur et menteur,  dont les mésaventures, presque aussi nombreuses que celle de son maître, provoquent le rire tout comme le couple improbable qu’il forme avec Don Quichotte, impavide, désintéressé, toujours très franc… et fou.

Mais il faut dire aussi la vérité ; Don Quichotte est une œuvre profondément triste. Et c’est sur cette note que je vais rester, peut-être parce que je suis d’humeur un tantinet mélancolique ce soir. Car, si l’on y songe, de quoi parle le livre ? D’un homme qui vit son rêve, un rêve qui plus est relativement noble : secourir la veuve et l’orphelin, faire cesser l’injustice, glorifier l’amour…. Et en fin de compte, qu’arrive-t-il ? Rien ; Don Quichotte est fou, pour Cervantès c’est une certitude. Seul un fou peut croire à « des lectures insensées » et aux valeurs chevaleresques d’antan. Dans la vie réelle, les aubergistes réclament de l’argent, les damoiselles inaccessibles sont des paysannes rougeaudes qui donnent à manger aux poulets et personne ne vient au secours de personne. A travers le personnage de Don Quichotte, c’est aussi le lecteur qui est pointé du doigt. Car Don Quichotte est moins un chevalier qu’un lecteur malchanceux, coupable d’avoir trop rêvassé sur des récits absurdes, attitude qui s’oppose au « bon sens » de ses amis qui, eux, brûlent les livres (cf. le chapitre VI dans lequel le curé et le barbier, proches de Don Quichotte, brûlent une partie de sa bibliothèque pour que les livres qui ont fait tant de mal à notre héros ne « perdent » plus personne). Un peu schizophrène notre ami Cervantès non ? Car Don Quichotte n’est rien de moins qu’un roman qui condamne le roman… En fin de compte, le bon sens finira par l’emporter. Don Quichotte, emporté par la maladie de la mélancolie, retrouvera la raison sur son lit de mort et choisira la voie de la religion (il demandera les derniers sacrements) comme ultime salut à une vie qui, somme toute perdrait autrement tout son sens : « Il finit par demander pardon des mauvais exemples qu’il avait pu donner  lorsqu’il était privé de sa raison (…) Don Quichotte pria monsieur le curé d’aller chercher les sacrements. Il les reçut avec une piété, une résignation, une ferveur, qui édifièrent tout le monde ; et le soir, étant retombé dans une grande faiblesse, il rendit son âme à Dieu. » Ce final si sérieux contraste avec le burlesque du reste du roman et n’est pas sans nous laisser un goût amer dans la bouche…

Voilà ma propre interprétation du roman de Cervantès. Mais, je l’ai dit au début de cette note et je le répète, chacun a sa propre lecture d’un récit. A vous de faire de Don Quichotte un héros tragique ou un joyeux bouffon, un fou dangereux qui se bat contre des moulins à vent ou un chevalier errant qui est juste né à la mauvaise époque…  
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commentaires

U
Je confirme, il faut passer outre les préjugés, car cette œuvre se lit finalement très facilement.<br /> <br /> Et il ne ressemble en rien aux livres que j'ai déjà pu lire.<br /> <br /> Après quelques chapitres, je pensais être lassée rapidement des histoires de Don Quichotte, inquiète d'y trouver trop d'éventuelles répétitions, mais finalement, je ne suis pas mécontente. <br /> <br /> Ces (més)aventures me font souvent sourire, surtout la naïveté du pauvre Sancho.<br /> <br /> Enfin, je n'en suis qu'au chapitre XXX..et il me reste encore le second tome à attaquer. A suivre donc...
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B
<br /> Je suis contente de ne pas être la seule à avoir surmonté mes préjugés! Dites moi quand vous aurez terminé ce que vous en avez finalement pensé, ça m'intéresserait beaucoup...<br /> <br /> Sinon, prenez le temps de jeter un coup d'oeil sur la critique d'aujourd'hui sur un autre roman de Cervantès.. Vous verrez ça n'a absolument rien à voir...<br /> <br /> <br />
U
Je confirme, il faut passer outre les préjugés, car cette œuvre se lit finalement très facilement.<br /> <br /> Et il ne ressemble en rien aux livres que j'ai déjà pu lire.<br /> <br /> Après quelques chapitres, je pensais être lassée rapidement des histoires de Don Quichotte, inquiète d'y trouver trop d'éventuelles répétitions, mais finalement, je ne suis pas mécontente. <br /> <br /> Ces (més)aventures me font souvent sourire, surtout la naïveté du pauvre Sancho.<br /> <br /> Enfin, je n'en suis qu'au chapitre XXX..et il me reste encore le second tome à attaquer. A suivre donc...
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I
un petit clin d'oeil sympathique : Don Quichotte dans la Manche! <br /> <br /> http://www.bedetheque.com/serie-10310-BD-Don-Quichotte-dans-la-manche.html<br /> <br /> merci pour cette chronique!
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B
<br /> ange qui passe et Iron: merci pour les liens! Et viva Don quichotte!<br /> <br /> <br />
U
Pour les plus motivés, ou tout simplement ceux qui aiment l'espagnol, voilà un lien où l'on peut lire l'intégralité de cette œuvre dans la langue de Cervantès :<br /> <br /> http://www.cervantesvirtual.com/servlet/SirveObras/02584060888025139754480/p0000001.htm
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U
Je dois dire, à ma grande honte, que pour ma part je ne connaissais pas vraiment l'histoire de Don Quijote de la Mancha..(alors que mon grand père est espagnol..)juste qu'il se battait contre des moulins à vent. Je comprends davantage pourquoi à présent.<br /> <br /> Je n'en avais que les commentaires d'amis qui parlaient de deux "pavés" à lire - ce qui rebute forcement un peu - ou encore la chanson que cette histoire a inspiré au groupe espagnol Magö de Oz, dont le titre est "molinos de viento" ou encore "la leyenda de la mancha" (si mon souvenir est bon)<br /> <br /> Pourtant, en lisant cette critique enjouée, cela m'a donné envie de plonger dans cette lecture qui change certainement de l'ordinaire (tout au moins de mes lectures habituelles assurément !)<br /> <br /> Alors encore merci pour nous faire découvrir des œuvres que l'on avait sans doute trop vite cataloguées.
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B
<br /> Je suis contente que la lecture de l'article donne envie! A vrai dire, j'avais moi-même tellement de préjugés sur "Don Quichotte" que j'avais envie d'une jolie réhabilitation. Curieusement, moi<br /> aussi je m'attendais à un "pavé" mais le roman n'est pas si long que ça et pour ma part je l'ai lu sans soucis...<br /> <br /> <br />