Le convoi de l’eau
Akira Yoshimura
Editions Actes Sud
Japon. Un homme au lourd passé qui est resté de nombreuses années en prison pour le meurtre de sa femme, cherche la paix dans le travail d’ouvrier de chantier. Dans ce but, il s’engage dans une équipe chargée de construire un barrage en haute montagne. Cette équipe a aussi un autre objectif : persuader les habitants d’un hameau perdu au fin fond de la vallée, hameau dont il y a encore quelques années personne ne connaissait l’existence, de renoncer à leur vie, de quitter leurs habitations et de laisser leur village se faire engloutir par les eaux. Très vite, un lien étrange va s’établir entre ces mystérieux autochtones condamnés à l’exil et les ouvriers du chantier, notamment avec le narrateur qui, grâce aux habitants du village, parviendra enfin à retrouver la sérénité…
Récit bref, avec une absence quasi-totale de dialogues, Le convoi de l’eau est un livre étrange, typiquement japonais si j’ose dire, avec des descriptions qui, bien que concises n’en sont pas moins extrêmement parlantes. C’est étonnant la façon dont l’auteur en peu de mots parvient à restituer des images ou d’une grande violence, ou d’une grande beauté. Il lui suffit de peu de choses : la tache blanche que fait la robe d’une jeune fille du village, pendue à un arbre pour avoir été violée par l’un des ouvriers du chantier, la pluie qui tombe sur les tentes des ouvriers, le sons des mousses des toits qui s’écroulent… Tout est rendu avec une grande justesse et donne au roman un aspect fantastique et très déroutant. Les habitants du village deviennent des sortes de créatures oniriques, agissant selon des desseins qui sont connus d’eux seul et cet aspect est renforcé par le fait qu’aucun d’entre eux ne parle durant tout le récit. Un peu troublé, le lecteur avance à tâtons dans cet univers, guidé par le narrateur qui révèle lui-même les aspects troubles de sa personnalité au fur et à mesure du récit. Aveugle guidé par un borgne, nous n’avons qu’une solution : adhérer à notre tour à cette histoire, célébration de la nature et du souvenir, intemporelle et sans complaisance. Le convoi de l’eau, pourtant parsemé de descriptions assez violentes (l’assassinat de l’épouse, le suicide de la jeune fille du village, la découverte du corps de l’un des ouvriers ou encore le récit des cruautés du narrateur) est un roman paradoxalement apaisant ; dans la mesure où la narration est dépourvue de tout jugement critique (seuls les chefs de chantier chargés d’évacuer les habitants du villages sont clairement blâmés) elle devient avant tout une sorte de refuge, un no man land à l’image du hameau dans lequel ni le bien ni le mal n’existe vraiment et où la rédemption devient possible. « Puissiez vous vivre des jours paisibles… » Pour le narrateur, le chantier est l’occasion de retrouver cette paix auquel il aspire. Pour nous… Et bien c’est juste une parenthèse silencieuse dans une réalité criarde. Mais ça fait du bien quand même…