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7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 09:20

L01.jpgLes jeunes filles

Henry de Montherlant

éditions Gallimard

 

"Tout ce qui naît de vous est mêlé, a double face (...) Vous versez tour à tour, presque ensemble, le poison et le remède, mais de façon assez savante pour qu'on ne soit ni tué par le poison, ni guéri tout à fait par le remède.(...) si vous jouez ce jeu en toute lucidité avec moi, je vous dis simplement: je ne suis pas assez forte pour vous, je fais "pouce". Et d'ailleurs je ne suis plus dans le jeu. Vous m'avez été jadis un élément de fécondité intérieure, de vitalité, de tourment actif. A présent il n'y a plus rien. Vous avez momifié la tendresse si fraîche, si profonde, si absolue que j'avais pour vous. Vous avez été une sorte de gelée blanche: vous avez fait avorter des sentiments qui, épanouis, eussent pu donner des  fruits admirables."

 

On passe du coq à l'âne avec un livre d'une rare cruauté, écrit entre deux-guerres. Costal, Don Juan des temps modernes, est un écrivain célèbre dont les femmes tombent toutes amoureuses et qui collectionnent les conquêtes féminines avec une facilité déconcertante. L'une de ses admiratrices, Andrée Hacquebaut s'est liée d'amitié avec lui pour finir par succomber à son charme. Sensible à la culture de la jeune femme, Costal n'est cependant touché ni par ses lettres enflammées (demeurant souvent sans réponse) et pas davantage par un physique ordinaire voire ingrat. S'il a assez pitié d'elle pour lui offrir son amitié, il ne peut se résigner ni à lui briser le coeur une bonne fois pour toute, ni à coucher avec elle pour s'en débarrasser pour de bon. Costal joue avec Andrée tout comme il joue avec Thérèse, une autre admiratrice illuminée ou encore avec la jeune Solange, une toute jeune fille qu'il séduit avec une facilité déconcertante...

Dans Les jeunes filles, la narration traditionnelle est interrompue par les lettres brûlantes de Andrée ou de Thérèse, la correspondance glaciale de Costal, des petites annonces matrimoniales, des réflexions sur les relations homme/femme...Le ton est cynique, les descriptions cliniques. Les femmes sont totalement mises à nu, et cette nudité n'a rien de bien glorieuse: Thérèse, mystique au bord de la folie, Andrée, la vieille fille frustrée dans un amour qu'elle croit réciproque, Solange, la jeune oie molassonne qui se prête à tout sans dire un seul mot... A l'inverse, Costal reste muré dans son mystère, semblant indifférent à la douleur et même au plaisir. Les rapports entre sexes sont décrits sans complaisance; pour le narrateur (et sans doute pour Montherlant) hommes et femmes ne peuvent vivre ensemble car ils ne partagent pas les mêmes aspirations. L'homme ne veut pas se marier, la femme si, la femme dépend de l'homme, l'homme ne dépend de personne... Toutes ces affirmations sont bien sûr à replacer dans leur contexte. Ce qui est surtout intéressant dans ce roman, en-dehors d'un style impeccable, c'est l'analyse des sentiments; Thérèse est caricatural et le personnage de Solange insuffisamment développée (il le sera davantage dans les romans suivants d'après ce que j'ai compris) mais celui de Andrée est touchant et agaçant à la fois, toute sa personnalité révélée sans pudeur à travers des lettres tour à tour désespérées et furieuses, joyeuses et calmes. A un moment donné du récit, le narrateur dit que pour aimer les femmes, il faut renoncer à les comprendre. Montherlant a clairement fait le choix de les comprendre.

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commentaires

P
C'est Costals, avec un s. Excellent, cet article. J'adore cette série de quatre romans, où Montherlant a inventé la sitcom déjantée.
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B
<br /> <br /> Je dois me procurer la suite d'ici peu. J'ai hâte de découvrir ce que deviennent tous ces personnages...<br /> <br /> <br /> <br />
O
Yolande,<br /> je vois que tu as repris les commentaires de lecture a un bon rythme et toujours avec ta verve et ton analyse aussi magique. Je n'ai jamais lu Montherlant, et après ce que tu en dis, je ne pense<br /> pas le mettre à mon programme... malgré qu'il ait une sacré plume magique.
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