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1 novembre 2020 7 01 /11 /novembre /2020 12:41

Bon, ben finalement me revoilà. Je vous avais manqué? Tant pis je reviens quand même alors que nous abordons ce deuxième (et je l'espère dernier si si j'y crois) confinement. 

Il y a quelques changements par rapport au premier confinement ceci dit. Mercredi soir, je pleurais à chaudes larmes devant la télévision, mon bol de soupe à la courgette sur les genoux, tandis que le président m'expliquait les yeux dans les yeux d'un ton grave que j'étais punie et que j'allais devoir rester chez moi tandis qu'Enzo, quinze ans, pourrait tranquillement fumer sa clope en continuant d'aller au lycée. A ce stade, j'étais persuadée qu'on reprenait le mois de mars et qu'on recommençait. Ben en fait non. L'endroit où je travaille reste ouvert; en revanche comme je travaille dans les livres je n'ai pas le droit moi de voir des clients et de leur vendre quoi que ce soit directement mais les livraisons continuent avec le réassort prévu pour les ventes de Noël ainsi que le "click and collect" ou en bon français le retrait des livres en une heure. 

A ce stade, ceux qui l'ignoraient encore et qui ont suivi un peu l'actualité ces derniers jours sur le monde du livre ont compris où je travaillais. Je ne reviendrai que brièvement sur la polémique qui a eu lieu. Très sincèrement, je suis contente que nous ayons fermé l'espace livres car pour ma part je me sentais coupable vis-à-vis de mes confrères de la ville et des libraires en général et c'était une concurrence déloyale. Est-ce que j'aurais préféré que toutes les librairies rouvrent à la place? Assurément. Après ce n'est malheureusement pas moi qui décide. J'attire cependant votre attention sur le fait que si c'est très bien de défendre les librairies indépendantes, ce n'est pas non plus une raison pour cracher aux visages des autres, nous manifestement les sous-libraires qui pourtant faisons quasiment le même métier que les autres, faisons vivre aussi le centre-ville et pour les plus vieux d'entre nous avons suivi  la même formation. Vous ne pouvez pas savoir à quel point c'est fatigant d'être à la fois méprisés par sa propre profession, par les clients qui commentent bien fort en passant devant vous "Ah mais c'est mal rangé ici et puis ils n'y connaissent rien, je préfère aller...." et par sa propre entreprise. Aussi, la prochaine fois avant de vous ruer sur vos claviers pour écrire tout le mal que vous pensez des grandes surfaces culturelles, dites-vous que dans ces grandes surfaces culturelles il y a également des gens qui prennent leurs métiers à coeur et qui craignent pour leurs emplois qui sont aussi menacés par la concurrence en ligne. A bon entendeur...

Revenons maintenant un peu en arrière pour évoquer cette semaine qui a été somme toute assez surréaliste. Jeudi, le magasin était plein : on se serait cru mi-décembre avec des gens stressés, des gens qui veulent des jouets, des livres et des "Vous êtes fermés à partir de demain?" et des "Et si je commande, je pourrais venir récupérer mes livres ici?" . Beaucoup de questions, peu de réponses: tout le monde est en réunion, il faut attendre les annonces, les décrets., etc. Pour couronner le tout, les arrivages débordent de partout: les éditeurs sont comme les autres, ils se disent que c'est peut-être la dernière occasion avant longtemps de vendre leurs ouvrages. Les réserves sont pleines, je dois me faufiler entre les caisses de livres et les gens, soulever des bacs pour trouver LE titre que veut le client et qui, bien évidemment est arrivé le jour même. Finalement, vers 18h00 les rayons se vident tranquillement tandis que nous apprenons que nous reviendrons le lendemain. Notre chef nous gribouille à la hâte une attestation professionnelle que je saisis précieusement, tel un sésame pour ma liberté.

Le vendredi matin, en me levant, c'est un drôle de sentiment. Je me sens un peu coupable de pouvoir sortir comme ça alors que les autres sont consignés chez eux et en même temps assez exaltée:  toujours un jour de moins confinée! Dans la rue, je trouve qu'il y a beaucoup de voitures, mais effectivement peu de piétons. Des questions absurdes me trottent dans la tête: maintenant que le confinement a commencé, faut-il garder son masque dans la rue? Quelqu'un va-t-il ramasser ce pauvre pigeon mort qui est près de l'arbre depuis trois jours et qui me fait pleurer à chaque fois que je passe devant ? (en même temps la semaine dernière j'ai pleuré trois jours sur le sort d'un lézard qui est mort coincé dans une fenêtre chez mes parents: je l'ai enterré dans la plate-bande) Est-ce que la police ne va pas venir me réclamer mon attestation et me hurler dessus en disant qu'elle n'est pas valable et que je n'ai rien à faire hors de chez moi? 

Arrivée au travail, je me sens mieux. C'est un terrain familier: s'occuper des retraits en une heure, commencer à vider quelques bacs de livres même si cela semble sans fin. Quelques clients arrivent, à ma grande surprise: je pensais vraiment renseigner peu de monde  mais au final cette journée ressemble plus à un jour férié ou à un dimanche dans l'année qu'à une journée confinée: quasiment personne le matin, un peu plus dans l'après-midi, des mères qui viennent chercher des pièces de théâtre pour leurs enfants, un jeune homme qui cherche un livre pour se remettre au sport et une dame qui préfère la cuisine. Une vieille dame me dit avec un grand sourire "ça fait tellement du bien de voir quelqu'un". Nous sommes au premier jour du confinement:  cette pauvre femme  risque de souffrir. 

Je finis à 17h00. Il reste encore une soixantaine de bacs à ranger dans mon coin malgré tous mes efforts.  Quand je rentre j'apprends que le rayon librairie/jeux vidéos/ CD DVD/jouets  sera fermé le lendemain et qu'il faut venir plus tôt pour enlever tous les livres des présentations afin d'éviter qu'un client n'en achète en même temps que ses piles ou son chargeur. Mes espoirs de passer le confinement à travailler s'envolent.

Le samedi, arrivée à 9h pour vider tous les livres près des caisses que ma collègue venait d'installer la veille (bonne intuition) Comme nous avons le droit de vendre de la papeterie, j'installe des agendas et des stylos tandis que masques, gel et chargeurs remplacent les nouveautés en BD. Tout est fini à 10h00 pour le brief du magasin. Le directeur explique qu'il en saura plus sur notre sort dans la journée tandis que nos collègues du rayon informatique nous regardent avec la commisération qu'on réserve aux grands malades. Ah et au fait on est passés à un niveau supérieur en terme de risque d'attentats terroristes. Voilà. Bonne journée hein.  Le magasin ouvre, nous nous glissons dans notre zone désormais devenue bunker. Mon seul contact clientèle de la journée sera pour vendre une gomme et un crayon de papier à une vieille dame. 

C'est un samedi très bizarre. Le silence plane dans les rayons déserts. On ne se rend pas compte à quel point les clients font du bruit. De temps en temps la musique du Saint, de Futurama ou de Big Ben retentit pour nous indiquer qu'il faut trouver un livre pour un client qui a commandé en ligne (on avait aussi le cri de Tarzan un moment mais on y devient vite allergique) Aujourd'hui manifestement, les gens lisent Hugo Clément. Un peu seule dans ma zone j'essaie de me mettre désespérément à jour dans mes rangements, mais il y a encore eu des livraisons et les bacs s'entassent. La bonne nouvelle c'est que désormais il n'y a plus à se soucier de les ranger correctement pour ne pas gêner la circulation: les rolls s'éparpillent gaiement dans les allées, la mine réjouie: le livre a gagné, il est désormais maître. Nous sommes seuls face à lui:  à part nous, seuls les logisticiens s'aventurent dans la zone désormais. J'ai encore des réflexes cependant et je lève souvent la tête pour voir si des clients arrivent. 

A 17h00, occupée dans le rayon papeterie à dépiauter des pères Noël et des petites boules de neige je suis prise soudain d'une bouffée de panique: où sont les autres? Tout est si silencieux. .. Mon collègue de la bande dessinée est venu me dire au revoir puisqu'il partait à 16h30 mais il en reste encore quatre normalement. Je parcours les allées : personne en jeunesse, personne en pratique, personne en littérature... Finalement je retrouve ma collègue au rayon polars en train de ranger des livres. 

"Je me croyais seule au monde! 

- Ce qu'il faut me dit-elle en se redressant, c'est de la musique: on se croirait dans une veillée mortuaire ici."

Nous retrouvons notre chef qui pousse la musique à fond dans le rayon CD pour que nous puissions en profiter de l'autre côté. Bruce Springsteen retentit. ça va tout de suite mieux et je commence même à chantonner en travaillant. 

Vers 18h15 ce même chef nous convoque pour nous annoncer que les délibérations ont pris fin: compte tenu des circonstances et pour assurer cependant le rangement des livraisons et le click-and-collect, nous allons être mis au chômage technique une partie du temps. La semaine prochaine je travaille donc... dix heures. Je jette un regard un peu désespéré autour de moi. Deux journées donc pour se mettre à jour et absorber ce qui va recommencer à arriver à partir de mardi. Deux petites matinées pour tenter de se mettre d'équerre, c'est tout simplement impossible. 

"Des questions?

- Je peux prendre mon MP3?"

Mon responsable me regarde presque avec pitié:

"J'amènerai une chaîne."

 

Aujourd'hui, c'est dimanche. Mon appartement est à peu près dans le même état que mes rayons: j'ai quinze jours de retard dans mes lessives, de la vaisselle sale traîne dans l'évier et la litière du chat.. et bien n'en parlons pas. La bonne nouvelle, c'est que ça va m'occuper sainement pendant mon temps libre. En plus, dans mes 1001 livres... j'attaque Guerre et paix. Je me tâte à commencer un nouveau puzzle. Cette semaine, je travaille demain matin et jeudi matin. Quelqu'un sait si les Hercule Poirot repassent?

Ce matin je suis allée à l'église pour la Toussaint. C'est la dernière messe autorisée avec celle pour les morts demain. Je me suis demandée s'il fallait remplir une attestation et pour quel motif? Perplexité. De toute façon, il n'y avait pas de contrôle: je pense qu'ils commenceront demain un peu partout dans la ville. En revanche, deux militaires armés gardent l'entrée de la basilique. Ambiance. 

A la sortie, les gens se pressent moins que d'habitude, applaudissent la chorale et l'organiste. Les cloches retentissent joyeusement tandis que peu à peu tout le monde s'éparpille pour aller se confiner pour de bon cette fois. 

 

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commentaires

M
En tout cas tu seras lue ici ????<br /> Je travaille dans le spectacle et nous travaillions pour des salles vides et muettes elles aussi. J'aurais jamais cru que le bruit me manquerait.
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B
Et moi donc! Le contraste va être violent quand les gens reviendront. Courage à toi du coup dans ces moments difficiles et merci de venir par ici!
B
Courage ma Yoyo ♥
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B
Merci❤️