Le voyage de Gaspard
Eric Pauwels
Bon après Dantec on passe à un style radicalement différent avec un livre pour enfants Le voyage de Gaspard. Et si, en lisant Dantec, j’ai beaucoup pensé à mon frère aîné, en lisant ce roman pour adolescents (que personnellement je n’oserai jamais conseiller à un ado) j’ai pensé à mon autre frère en me disant « Mon Dieu je crois qu’il détesterait »
Petit résumé ; Gaspard est un gentil garçon de dix ans qui, toujours flanqué de son inséparable compagnon, Puf le chien (et non Paf) accompagne son grand-père aveugle au musée et l’écoute parler de tableaux dont l’homme ne peut plus que se souvenir maintenant qu’il a perdu la vue. Un jour, le grand-père s’arrête devant un tableau La jeune fille à l’oiseau mort et commence à en raconter l’histoire. Le hic c’est qu’il ne voit pas que le tableau est actuellement en prêt et qu’il n’est pas accroché au mur. Gaspard, qui n’ose rien dire à son grand-père, ne peut donc qu’imaginer ce qu’il est advenu du tableau et ce qu’il représente…. A partir de là, le récit met en scène Gaspard et son chien à la recherche du tableau disparu, voyage qui, il faut le comprendre n’a lieu que dans l’imagination du gamin. Bref, Gaspard, par le biais d’un navire, s’embarque dans un royaume enchanté peuplé d’îles de toute sorte (l’île des Mots, l’île du Miel, l’île des chiffres, Elibaniéniébénil le royaume du Désir…) et vit de merveilleuses aventures qui, je vous rassure, finiront toutes bien. Il croisera différents personnages (un parfumeur un peu filou, un sorcier sur son tapis volant, un peintre voleur, un cartographe maniaque, des gnomes) qui l’aideront dans sa quête et, surtout, lui raconteront un grand nombre d’histoires. Au terme de ce voyage initiatique, Gaspard trouvera le tableau et comprendra ce que le peintre a voulu expliquer…
D’une chose d’abord ; je trouve que dans ses remerciements finaux, qui pourtant vont de Platon à Bettelheim, l’auteur aurait pu mentionner Michael Ende, le génial créateur de L’histoire sans fin, car il me semble douteux qu’il ne s’en soit pas inspiré, ne serait-ce qu’un petit peu. Même construction narrative avec un personnage qui par le biais d’un objet (une peinture ici) se retrouve « propulsé » dans un monde merveilleux où tout est possible, même façon de procéder (des histoires à l’intérieur d’une histoire) et une série de personnages fantastiques. Plus explicitement Eric Pauwels s’inspire des contes des Milles et une nuits et met volontiers en scène un décor de déserts et d’oasis ; qui plus est, il s’approprie sans aucun remords les histoires des autres et nous relate le mythe de l’Hermaphrodite (merci Platon) et l’histoire des pas dans le sable que j’ai entendu à de nombreuses reprises au cours de catéchisme ! Ceci dit, l’ensemble est plutôt bien construit, les histoires sympathiques à lire et, pour peu qu’on adhère un minimum à l’univers merveilleux, on pardonne volontiers ces plagiats avoués (plagiats non, plutôt réappropriations) qui ressemblent avant tout à des hommages.
Ce n’est pas donc l’aspect Mille et une nuits ou L’histoire sans fin qui me gêne ici (il faut dire que, petite, L’histoire sans fin était mon livre de chevet). Non, ce qui me gêne dans Le voyage de Gaspard c’est plutôt l’aspect Petit prince. Le ton du récit est naïf, à la limite du supportable. Dans le roman de Michael Ende, Bastien, le héros, était un petit garçon boudiné, bien loin de l’image sucrée qu’en a fait plus tard Wolfgang Petersen dans son adaptation cinématographique, et qui, d’abord plein de complexes, évoluait pour devenir même à un moment donné mauvais ! C’était un personnage réaliste et, au demeurant, attachant. Gaspard n’est pas crédible une seconde ; c’est un enfant idéal (le genre à manger gentiment ses légumes) qui accompagne aimablement son grand-père aveugle au musée (dites, à dix ans, sincèrement, vous aimiez vous taper les musées avec vos grands-parents ou vos parents vous ?) et qui tout le long des six cent pages du récit n’évoluera pas d’un iota. Il sera toujours égal à lui-même, sympathique, à la recherche de son tableau, et tous ceux qui le rencontreront l’aimeront beaucoup. Pareil au niveau des situations ; dans L’histoire sans fin, il y avait vraiment des passages horribles, des moments où l’on craignait pour la vie des personnages. Ici rien de tel. Tout est figé, rien ne semble troubler le cours paisible des événements car tout est « écrit » (idéologie douteuse mais bon on va pas en faire un fromage) et le seul événement « grave » du roman c’est lorsque Gaspard perd son chien ! Plus soucieux d’aligner ses histoires que de construire véritablement un récit, Pauwels cède à ce que je nommerai « le syndrôme Petit prince ». En gros, il s’agit par le biais de récits merveilleux d’aligner quelques réalités essentielles sur la vie l’amour, la mort etc., le but étant que l’enfant ouvre de grands yeux émerveillés et que le parent verse sa petite larme d’émotion. C’est très mignon je l’accorde mais ça verse parfois dans le mièvrerie (oui je sais mais ça fait longtemps que je n’avais pas utilisé ce terme) et dans la morale des bons sentiments où tout le monde est beau et gentil (note : Pauwels qui a écrit ce roman pour son fils Gaspard a tout de même intérêt à le prévenir qu’il ne doit pas faire comme le héros et suivre de parfaits inconnus qui lui proposent l’hospitalité)
Au final, ce roman me fait penser aux albums jeunesse soigneusement léchés, le genre qui plaît plus aux parents qu’aux enfants (les traîtres se sont déjà précipités sur Dora ou Bob l’éponge) C’est très éducatif, très moral, très instructif. Personnellement, si je devais l’acheter pour mes enfants, ce serait plus pour leur lire le soir (le roman joue beaucoup sur l’oralité des contes, avec les répétitions et un style direct) avant qu’ils s’endorment. Si vous êtes d’humeur cynique, vous ne pourrez que détester, mais si vous aussi vous êtes atteint du syndrome Petit Prince et du complexe du Petit Poney, alors pourquoi pas ? Moi, si vous permettez, je vais passer encore quelques temps à déterminer si j’ai aimé ou pas…