Nord et Sud
Elizabeth Gaskell
éditions Points
1855
Margaret a de quoi avoir le cafard. Après avoir passé des années dans l'ombre de sa cousine Edith à Londres, menant une vie mondaine et bien remplie et après être retournée quelques mois auprès de ses parents dans la tranquille petite ville de Helstone dans le Sud de l'Angleterre pour y mener cette fois une existence paisible mais tout aussi satisfaisante, voilà que son père, pasteur, pris d'une crise mystique, décide de renoncer à sa charge et de devenir professeur dans une ville du Nord, embarquant fille et femme dans l'aventure. A Milton, bourgade ouvrière, l'air est saturé de la fumée des usines et patrons et ouvriers sont en lutte incessante. D'abord effrayée par le climat inhospitalier et par la rudesse des habitants, Margaret sent peu à peu sa conscience sociale s'éveiller au contact de Nicolas Higgins, un syndicaliste véhément, et de John Thornton, un patron de filature froid et orgueilleux...
Nous retrouvons Elizabeth Gaskell dans un ouvrage à mille lieues de Cranford. Si Cranford en effet évoquait un monde clos et à tout prendre rassurant, Nord et Sud est une véritable gifle, mettant en scène sans complaisance la réalité des milieux industriels de l'Angleterre du XIXe siècle et la férocité d'un monde où l'argent a pris la place des valeurs humaines. Bon attention hein: nous ne sommes pas non plus dans Germinal et l'auteur se garde bien d'adopter un parti tranché sur la question, se contentant d'alterner point de vue des patrons et des ouvriers sans vraiment se prononcer elle-même. De fait, je ne suis pas franchement éblouie par la dimension sociale de l'ouvrage : je le suis davantage par la construction des personnages. En effet, si Margaret est plutôt décevante de ce point de vue là, se contentant d'être la jeune fille parfaite sous tous rapports, pieuse, douce, fille aimante, charitable etc. bref l'héroïne ennuyeuse par excellence (elle passe beaucoup de temps à pleurer) tous les autres protagonistes sont beaucoup plus aboutis que ce soit le père de Margaret, l'ancien pasteur tiraillé entre sa conscience et ses ambitions, Dixon, la femme de chambre revêche mais entièrement dévouée à sa maîtresse, la mère de Thornton à la fois diablement antipathique et diablement émouvante dans son amour inconditionnel pour ses enfants, et enfin et surtout Thornton, froid, ambitieux, impitoyable mais juste et surtout amoureux fou d'une femme qui ne lui rend pas son amour et qu'il continue bien malgré lui à aimer. Les tourments de sa passion contrariée pour Margaret ainsi que ses efforts vains pour s'en dépêtrer font tout ce qui fait le charme d'un roman parfois un peu sirupeux mais qui se garde de tomber dans la bluette victorienne, grâce notamment à des descriptions violentes (la grève, la pauvreté des Higgins, les morts) qui forment un contraste fort avec le monde insouciant et frivole que Edith et sa mère s'essaient en vain de préserver.