La fenêtre panoramique
Richard Yates
Editions Robert Laffont
Promis, ça restera entre nous mais ne vous êtes-vous jamais dit quelquefois que vous valiez tellement mieux que tous ces ploucs autour de vous, tous ces abrutis dont la seule ambition se résume à avoir une jolie maison, deux enfants trois quart et la télé par câble ? Tous ces gens sans curiosité intellectuelle qui se contente d’une vie étriquée, sans soif d’absolu, sans idéaux, sans but ? C’est humain d’avoir ce genre de pensées fugaces… mais c’est très probablement faux, du moins si l’on en croit Richard Yates et son livre La fenêtre panoramique.
Etats-Unis, années 50. April et Frank Wheeler sont des jeunes gens cultivés et avides d’expérience. Ils s’aiment, tout du moins le croient-ils et chacun se renvoie une image qui les ravit, celle d’un être exceptionnel, au-dessus des petits-bourgeois bien pensants. Nous valons tellement mieux ! Seulement voilà : April tombe enceinte « trop tôt » et le couple se voit « contraint » d’emménager dans une maison dans la banlieue new-yorkaise, tandis que Frank trouve un travail dans l’entreprise de son père. Une situation que nos tourtereaux vivent plutôt mal. Naissance d’un deuxième enfant. La routine s’installe ; les voisins gentils mais un peu bêtes, la voisine collante, les enfants bruyants, la tondeuse qu’on doit passer les jours de congé, la vie ordinaire dans une banlieue américaine… Les disputes entre April et Frank Wheeler se multiplient mais leur couple continue à se réfugier derrière leur propre sentiment de supériorité jusqu’au jour où April décide qu’il est temps pour eux de larguer les amarres et de partir en Europe, à Paris, pour « trouver » un sens à leur vie. Une solution qui va bientôt les mettre face à une réalité des plus désagréables…
On s’y tromperait presque en voyant la jaquette du livre présentant Leonardo Di Caprio et Kate Winslet tendrement enlacés, tout comme certains ont dû avoir un choc en allant voir Noces rebelles, l’adaptation cinématographique de La fenêtre panoramique, croyant assister à une séance de Titanic II, le retour. De l’amour il n’y en a absolument pas dans ce roman d’une noirceur et d’un cynisme absolu. Les personnages sont plutôt antipathiques. Richard Yates décrit avec un style brillant et un absolu manque de compassion le parcours d’un couple gonflé d’orgueil qui se révèle aussi vide que leurs voisins. Ce n’est pas non plus une apologie du modèle banlieusard : l’auteur se montre tout aussi impitoyable avec le personnage de Mrs Givings, la vieille voisine confortablement installée dans son existence et qui délaisse un fils devenu fou, le point noir d’une vie bien rangée, ou encore avec Milly, la voisine un peu cruche qui se contente de se calquer sur son mari, à l’exact opposé d’April. Quant à son époux Shep, qui a rejeté une famille d’intellectuels pour une vie de petits bourgeois, il représente le double inversé de Frank, qui lui essaie au contraire de se démarquer d’une famille modeste et bien rangée. Bref, quoi que les gens tentent de faire, ils se retrouvent d’une façon ou d’une autre pris au piège.
Le ton du récit est donné dès le premier chapitre. April fait partie de la troupe de théâtre amateur du quartier. Seule bonne actrice, elle joue au début très bien dans la pièce mais la médiocrité de ses compagnons a raison d’elle et son jeu devient de plus en plus faux et de plus en plus compassé. Le constat de Yates est sans appel ; aspirer à l’absolu est illusoire. On peut lutter contre son environnement, pas contre ses propres faiblesses…