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15 juin 2009 1 15 /06 /juin /2009 11:33

Les travaux de Persiles

Miguel Cervantès

Editions Stock

 

Habituellement, il m’est plutôt facile de reconnaître la « patte » d’un auteur. Chaque écrivain a un style qui lui est propre, une façon de manier la phrase ou une tournure d’esprit qui se retrouve dans ses écrits. Pourtant, si je n’avais pas su qu’il s’agissait bien de Miguel Cervantès, je n’aurais sans doute jamais réussi à reconnaître l’auteur de Don Quichotte dans le roman Les travaux de Persiles et Sigismonde.

Si Don Quichotte est désormais universellement reconnu, Les travaux de Persiles sont en revanche presque totalement tombés dans l’oubli : pour vous donner une idée, j’ai récupéré mon exemplaire d’occasion : il datait de 1947 et j’ai dû couper les pages moi-même ! C’est un peu triste de se dire qu’en plus de soixante ans, personne n’avait lu l’ouvrage que je tiens entre les mains. Encore plus triste quand on sait que Cervantès a fini le livre sur son lit de mort dans l’espoir que celui-ci lui apporterait la reconnaissance éternelle.

L’histoire débute sur mer. Une femme d’une grande beauté, qui se fait appeler Auristèle, est capturée par des corsaires. Son frère Périandre, ou prétendu tel, vole à son secours. Ces deux-là, bientôt rejoints par un petit groupe hétéroclite de personnages (le prince de Danemark, amoureux d’Auristèle, un espagnol « barbarisé » et sa famille, d’autres prisonniers…) ont un objectif bien précis en tête : atteindre Rome pour exaucer un vœu dont personne ne sait exactement la teneur car le frère et la sœur sont nimbés de mystère. Tous s’empressent de les aider et traversent ainsi successivement la mer, l’Espagne, la France et l’Italie, vivant ainsi toutes sortes d’aventures, tantôt gaies tantôt dramatiques, et écoutant les histoires de chacune de leurs rencontres sur le chemin : enlèvements et mariages forcées, sorcellerie, duels, amours passionnés, vengeances… A la fin, il apparaît que Périandre et Auristèle ne sont pas frère et sœur mais amoureux et qu’ils veulent atteindre Rome pour unir leurs vies par le mariage.

Le résumé vous paraît plutôt sympathique non ? A moi aussi ça me paraissait alléchant, surtout connaissant l’auteur. Hélas ! Trois fois hélas ! J’ai cherché en vain la simplicité et la verve qui caractérisait Don Quichotte. Seulement, là n’était pas le but de Cervantès qui au contraire voulait renouer avec le roman grec : deux jeunes amoureux qui au terme de tribulations insensées se retrouvent, style du genre épique… Bref une œuvre qui est basée sur l’imitation, ce qui à l’époque de Cervantès n’a rien de honteux. Mais, de nos jours, le style ampoulé, à cent lieues des bouffonneries de Sancho a bien du mal à fonctionner. Qui plus est, Cervantès, qui n’hésitait pas dans Don Quichotte à railler tous les canons du roman de chevalerie, fait marche arrière en employant deux trois techniques que n’aurait pas désavoué l’auteur d’Amadis par exemple : extrême beauté des personnages principaux, amour excessif qui se traduit par des manifestations physiques (évanouissement, mort). Comme dirait l’auteur de la préface de l’ouvrage : « En ce sens, il n’est pas exagéré de dire que Persiles est la revanche d’Amadis sur Don Quichotte ». Le chevalier à la triste figure avait un côté résolument moderne : Persiles et Sigismonde ont tous deux les caractéristiques d’un passé figé, prisonniers d’une rhétorique usée et paraissent fades. D’ailleurs, il apparaît assez évident que l’auteur lui-même au bout d’un moment se lasse de l’écriture stéréotypée et ronflante de son ouvrage. Ainsi, lors d’une narration de Périandre, contant ses aventures, il n’hésite pas à tourner en dérision ce procédé archaïque : « Il me semble que si la patience n’eût été soutenue du plaisir qu’avaient Arnaldo et Policarpe de voir Auristèle, et de celui que prenait Synforosa à regarder Périandre, ils l’eussent déjà perdue en écoutant son discours, que Maurice et Ladislas trouvèrent un peu long, et non guère à propos, puisque pour conter ses propres disgrâces, il n’avait que faire de réciter les plaisirs des autres. ». Nous retrouvons ici l’une des trop rares touches d’humour de l’auteur qui cette fois se moque indirectement de son personnage principal. Il y en a d’autres, rassurez-vous : je pense par exemple à ce moment unique où le jeune barbare Antoine, sollicité par une magicienne amoureuse, répond à ses avances… en lui tirant une flèche dessus ! Au grand désespoir de son père qui lui fait par la suite un petit discours dans lequel il apparaît qu’on ne traite pas ainsi ses prétendantes… Mais les notes légères ne réussissent pas malheureusement à sauver un ensemble trop chargé, un bric-à-brac de genres littéraires agencés à la hâte et sans véritable implication…

Alors me direz-vous, pourquoi lire ce livre ? Parce que des fois nous avons quelques jolis passages, des éclairs touchants. Personnellement je ne suis pas d’accord avec l’auteur de la préface (mort sans doute depuis longtemps le malheureux) qui dit que Cervantès était médiocre en poésie car j’ai apprécié le sonnet inséré en plein milieu du roman, notamment ces vers :

« La généreuse ardeur que tu ne peux éteindre,

Allumant ton Amour éteindra ta beauté,

Et contraignant un mal qui ne se peut contraindre,

Tu mourras en visant à l’immortalité. »

Mais je l’avoue, ce qui m’a le plus touchée dans ce roman, et ce n’est certes pas une bonne raison, c’est justement ce côté vieillissant, testamentaire. Cervantès n’a même pas vécu assez longtemps pour assister à la publication de ce qui était supposé être son chef-d’œuvre et qui ne se révélera qu’un roman parmi d’autres, roman qu’on aurait sans doute totalement oublié s’il n’avait pas été celui de l’auteur de Don Quichotte

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