Tout, tout de suite
Morgan Sportès
éditions Fayard
2011
On continue dans la rentrée littéraire avec un ouvrage qui n'a rien de franchement mignon. "Vous qui entrez ici, laissez toute espérance. Ce livre est une autopsie: celle de nos sociétés saisies par la barbarie." Voici ce que vous lisez sur la quatrième de couverture du nouveau livre de Morgan Sportès Tout, tout de suite qui réinterprète à sa sauce l'affaire du "Gang des Barbares". En 2006, un jeune juif est retrouvé mourant près d'une voie ferrée après trois semaines de séquestration et de tortures. Il décédera dans l'ambulance. Plus d'une vingtaine de personnes ont été impliquées dans cette affaire à des degrés divers, de toutes confessions et de toutes origines. Si le motif de l'enlèvement du jeune homme était clairement crapuleux (le jeune homme aurait été enlevé parce qu'il était juif, donc forcément riche logique d'ailleurs pour le moins stupide) les motivations antisémites ont été clairement soulevées sans pour autant être établies. Crime crapuleux, crime haineux? Morgan Sportès s'empare des faits et se livre à ses propres interprétations en reconstituant à sa manière toute l'histoire. La démarche peut paraître un peu gênante dans la mesure où l'auteur dénonce des gens qui ont perdu toute notion entre réel et irréel et agissent comme s'ils étaient dans un film. Zelda, "l'appât", se prend pour une vedette, les ravisseurs cherchent un moment du "faux sang" pour faire comme s'ils avaient battu Elie, la victime, histoire de ne pas le battre pour de vrai...Or, que fait Sportès sinon en faire des personnages, travestir leurs noms et passer tout au filtre de l'écriture? Ce point me chiffonne.
Ceci dit, sorti de ça, je me dois de saluer une performance littéraire remarquable. Loin d'adopter un manichéisme bon teint, Morgan Sportès se livre à une réelle autopsie des faits et des personnages en s'interdisant lui-même tout jugement de valeur. Les faits sont assez horribles et parlent d'eux-même à quoi bon en rajouter? Les réflexions "morales" sont celles des propres acteurs du drame sous forme de citations ou de comptes-rendus de procès, elles sont très rarement celles du narrateur. Sportès reste dans le "concret": âge et confession des différents protagonistes, caractéristiques physiques, habitudes de vie, énoncé des faits... Le résultat est glaçant car au final le lecteur est placé dans le rôle du juge: "voilà comment ça s'est passé, semble dire l'auteur, voilà ce que ces gens ont fait, à vous de décider s'ils étaient coupables ou non et à quel degré." Au demeurant, nous voilà confrontés à une histoire qui donne la nausée; des gens qui en toute bonne foi, pas forcément très méchants d'ailleurs, décident sans aucun scrupule, sans même paraître réaliser la gravité de leur geste, d'enlever et de torturer un jeune homme qui ne leur avait rien fait, tout ça pour de l'argent. Et pourquoi pas après tout? Il y a bien des émissions de télé-réalité où l'on voit des gens prêts à tout pour le même objectif. Je serais bien en peine de déterminer si l'affaire du Gang des Barbares relève de l'antisémitisme; en revanche, je suis pleinement d'accord avec le terme de barbares.