Le choix de Bérénice
Fabien Clavel
éditions Rageot
2015
Le principe de la collection est simple : il s'agit d'adapter un classique de la littérature d'amour à notre époque. Ma collègue était enthousiaste et j'avoue que j'étais assez séduite également. N'est-ce pas un moyen de redonner goût à des oeuvres classiques aux adolescents en leur proposant une histoire dans l'air du temps qui leur donnera envie peut-être par la suite de découvrir l'histoire d'amour originale ? Et après, j'ai vu le titre de la collection et j'ai déchanté : "In love". Oui je suppose qu'en français, ça faisait pas assez dans le coup. Je ne parle même pas de la couverture du Choix de Bérénice représentant deux mains formant un petit coeur. Il ne manque plus que le "lol" dans un coin tiens.
Mais de quoi parle donc Le choix de Bérénice justement ? Et bien le livre est une adaptation de la célèbre pièce de Racine, revisité à la sauce contemporaine. Et quand on parle de revisite, là il s'agit plus d'un massacre, vous savez comme lors d'un télé-crochet où un candidat braille du Brel avec des effets de voix et que vous n'avez plus qu'une envie c'est de lui arracher la gorge avec des tenailles rougies à blanc. Petit rappel pour ceux qui ne connaissent pas Bérénice. Bérénice raconte l'histoire de Titus, empereur romain amoureux fou de la belle Bérénice qui lui rend cet amour et qui, pour lui, a quitté sa Palestine natale. Mais les conseillers de Titus s'opposent à leur union et somment le héros de choisir entre Rome et Bérénice. Désespéré Titus fait le choix de la "raison" et demande à Bérénice de partir par le biais d'Antiochus, également amoureux de la belle. Tous les trois vivent mais finissent malheureux chacun de leur côté.
Voilà pour la version "originale". Passons maintenant à l'adaptation de Clavel voulez-vous ? Ce dernier fait le choix de raconter l'histoire par le biais d'Arslan (alias Antiochus) J'avoue que j'ai un peu tiqué mais en y réfléchissant, pourquoi pas ? Même si Bérénice et Titus sont les personnages principaux de la pièce de Racine, le triangle amoureux qu'ils forment avec Antiochus existe bel et bien et ça peut être un parti pris. Là où je suis moins d'accord, c'est quand Clavel crée un nouveau triangle en faisant du confident d'Arslan, Aydin, son amoureux secret ! Oui mais là excusez-moi, ça sent bon le "je veux caser une histoire d'amour homosexuel pour faire plus moderne et du coup j'en invente une comme ça pif pouf". Et comme Clavel n'en a jamais assez de l'amour, il y a encore une amoureuse malheureuse, Beverley, amoureuse de Arslan. Tout le monde aime Arslan en fait. Mais lui Arslan il aime Bérénice, israélienne (à mon avis faire d'elle une palestinienne musulmane était beaucoup plus intéressant mais bon) qui elle aime Titus, un séduisant américain aux cheveux blonds. Le Titus de Racine était un homme de guerre, Clavel fait du sien un sportif (oui je sais) appelé à reprendre la multinationale de son père à sa mort. Titus est aussi amoureux de Bérénice, mais son père, trahie par son épouse égyptienne (un peuple fourbe je le savais) se refuse à ce que son fils convole avec une étrangère. Du coup, Titus se voit sommer de choisir entre l'entreprise de son père et un mariage avec Bérénice. Et comme dans la pièce de Racine il ne choisit pas la belle.
J'avoue, c'était difficile d'adapter la pièce : déjà parce que dans la pièce il ne se passe rien, donc en faire un roman pour ados c'était déjà délicat. D'autre part, parce que nous vivons à l'époque où renoncer à l'amour au nom de la raison d'Etat paraît un peu démodé. Le Titus de Clavel a beau hériter d'un empire financier, on ne voit pas bien pourquoi il se laisse aussi facilement influencer dans ses choix. ça paraît même un peu ridicule : "Tiens Titus renonce à l'amour de ta vie au lieu de nous envoyer paître et de nous intenter un procès qui te rapportera sans doute beaucoup." L'intrigue était donc casse-gueule à la base mais l'auteur prend un malin plaisir à s'enfoncer davantage dans la médiocrité en réduisant les sublimes élans des personnages de Racine à des geignements d'ados en proie aux hormones. Quatre formes d'amour et pas une de crédible : Bérénice flashe sur Titus dès qu'elle le voit sortir de l'eau en mode surfeur, Arslan se morfond pour Bérénice alors qu'il la connaît à peine (oh mais oui Bérénice, je t'ai vue deux fois en un an, bien entendu que je vais tout quitter pour t'accompagner aux Etats-Unis histoire de te tenir la chandelle pendant que tu roucoules avec Titus) et Aydin lance des sous-entendus mystérieux à Arslan "Ne t'inquiète pas, je comprends PARFAITEMENT (clin d'oeil) ce que tu ressens pour Bérénice." Chez Clavel l'amour c'est magique, ça survient comme ça pif pouf et ça repart aussi sec d'ailleurs : rassurez-vous bonnes gens, Arslan finit heureux avec Bérénice, l'auteurw ayant manifestement oublié que le principe d'une tragédie c'est de finir mal. Ce n'était peut-être pas assez moderne, l'amour malheureux et tout le reste, Bérénice a dû lire beaucoup de bouquins de développement personnel et comprendre que sa relation avec Titus était destructrice. C'est beau tiens.
Vous voulez pour finir qu'on parle vraiment du style ? Des dialogues artificiels au possible coupées de descriptions aussi inutiles que mièvres ? De l'action qui peut s'étaler sur une journée puis ensuite passe gaiement trois ans ? Des répétitions et du vocabulaire faussement branché ? Je crois qu'il vaut mieux ne pas en rajouter. Ceci dit le but du livre est atteint : après la lecture du Choix de Bérénice, je n'ai plus qu'une envie, c'est de relire la pièce de Racine histoire d'oublier cette adaptation.
Allez je vous laisse, je prépare le prochain roman pour la collection "In love" :
" Ashley timide terminale adepte d'échecs aime en silence Scarlett, la pom-pom girl du lycée. Mais leur amour est impossible car tous les deux sont en couple : Ashley sort avec Mélanie, une fille dévote qui refuse de coucher avec lui avant le mariage tandis que Scarlett fréquente Rhett, le capitaine de l'équipe, un jeune homme violent qui boit des bières avec ses copains et qui la bat. De guerre lasse, Scarlett demande conseil à Mama, leur prof de maths transsexuelle et secrètement amoureuse d'Ashley également."
Je pense que Rageot va adorer.