Te succomber
Jasinda Wilder
éditions Michel Lafon
2013
Vous vous souvenez de 50 nuances de Grey, cette trilogie érotique pour ménagères désespérées qui aujourd'hui encore caracole dans les meilleures ventes? Si vous passez régulièrement en librairie, vous ne serez pas sans constater que le genre a fait des petits : en cette merveilleuse période printanière où les sens s'affolent, les ouvrages sulfureux abondent, des Aime-moi, Possède-moi, Fesse-moi, des jolies couvertures rouges, ombres énigmatiques, menottes sur fond mauves, silhouettes dénudées... Du coup la littérature jeunesse faisait un peu la tronche : c'est qu'il y a un créneau à prendre avec les adolescents plein d'hormones mais mettre du hard dans des romans destinés aux "enfants", ça le fait pas trop. Qu'à cela ne tienne : les éditeurs, ces petits filous, ont décidé de créer un nouveau genre baptisé "le new adult",
Soyez dans la joie : aujourd'hui vous devenez des grands.
Tout commence avec Nell, jeune fille de seize ans qui tombe amoureuse de Kyle, son meilleur ami. Ils sont propres sur eux, viennent de familles aisées, sont intelligents et beaux, bref, ils sont parfaits. Après quelques sorties et quelques embrassades, ils couchent ensemble et établissent des projets. Jusque là, en toute honnêteté, pas grand-chose à reprocher à Te succomber. L'histoire d'amour est un peu gnangnan mais l'écriture est tout à fait correcte, les scènes de sexe sont réalistes (ce à quoi on peut s'attendre entre deux ados le découvrant pour la première fois en tous cas) et il y a même une certaine ironie (si si) de l'auteur qui se plaît à dépeindre l'univers de ces deux enfants à papa pour mieux le faire voler en éclats. Car, soudain c'est le drame : dans une scène d'un ridicule achevé, deux ans plus tard, Kyle meurt lors d'un orage, écrasé par un arbre. Nell est bourrelée de remords car il l'a poussée pour la protéger et, qui plus est, ils se querellaient au moment de l'accident (Nell avait refusé la demande en mariage de Kyle). C'est la catastrophe: Nell est effondrée. Lors de l'enterrement, elle fait la connaissance de Colton, le frère aîné de son petit ami et tombe aussitôt sous son charme mais se dérobe, rongée par la culpabilité. Deux autres années s'écoulent : Colton et Nell se retrouvent à New York; Colton répare des voitures et joue de la guitare pour les passants et la jeune femme est à la fac et noie son chagrin en buvant du whisky et en se scarifiant. Nouveau coup de foudre (paraît-il que la guitare pour les hommes est l'arme idéale pour draguer). Colton n'a pourtant rien de commun avec Kyle: il est dyslexique, c'est un gros dur qui s'est déjà battu dans des combats de rue et qui a fait partie d'un gang. Ceci dit, maintenant il s'est rangé: il a son garage et il est devenu un rebelle gentil (je ne me bats que pour me protéger ma copine, je joue de la guitare en versant ma petite larme et je suis une bête de sexe) Qui plus est, il peut du coup faire la morale à Nell et lui dire qu'il comprend sa douleur mais que c'est vilain de se scarifier et tout. Le reste de l'histoire est composée essentiellement de chansons jouées à la guitare, de pensées philosophiques dignes de BHL... et de sexe bien évidemment. Cette fois pas de ratés, pas d'hésitation: de toute évidence Nell a gagné au change puisqu'en plus d'être monté comme un étalon, Colton maîtrise l'art de l'amener au septième ciel. Difficile dans ce genre de scènes de faire la différence avec 50 nuances de Grey: tout comme l'héroïne de la trilogie, Nell passe son temps à s'extasier, se montre elle-même une prodigieuse maîtresse et entrecoupe ses gémissements de "Oh mon Dieu" tandis que Colton halète en l'appelant "bébé" et en lui disant qu'il aime ça et que la voir se mordiller la lèvre le rend fou. Voilà voilà.
Et comment ça finit me direz-vous? Il y a encore un autre drame, qui prend quelques pages pas plus parce qu'il faut pas charrier non plus (le chapitre sur la première scène d'amour en faisait vingt-cinq on voit les priorités de l'auteur) et une conclusion digne des meilleurs Harlequins qui boucle ce grand moment de littérature. Après ça, vous vous dites que si c'est ça le genre "new adult" peut-être vaut-il mieux rester au genre ado tout bête, vous savez, avec des personnages qui n'ont pas l'air sortis tout droit d'un téléfilm érotique. Je dis ça je dis rien mais je pense que ce serait un peu plus sain quand même sinon des adolescentes risquent d'avoir une sacrée déception quand elles vivront leur première histoire d'amour...