Le dernier des Mohicans
James Fenimore Cooper
éditions Flammarion
1826
Des soldats et des indiens, une romance et des demoiselles en détresse, des combats et de la violence, des nobles sentiments et des trahisons... Nous ne sommes pas dans un film hollywoodien mais dans les 1001 livres... avec Le dernier des Mohicans de Cooper.
1757: dans la forêt nord-américaine, alors que la guerre entre les anglais et ces chiens de français fait rage, un jeune major anglais, Heyward, a la mission délicate de mener les deux filles du colonel Munroe, Cora et Alice, jusqu'à leur père assiégé au Fort Williams. Il est aidé par un indien Huron, Magua, qui se révèle bientôt être un traître. Heureusement, la route de Heyward croise celle de Oeil-de-Faucon, un chasseur blanc, et de deux Indiens, Chingachgook et son fils Uncas, ultimes survivants de la race des Mohicans. Les trois guerriers acceptent d'aider les anglais et de les guider à travers ce territoire hostile, cerné par les français et leurs alliés indiens.
Pour ceux qui ont vu le film, autant vous prévenir; le livre n'a rien à voir. Pas de jeune héros fougueux mais un vieux chasseur mal embouché. A dire vrai, dans Le dernier des Mohicans, nous avons plusieurs protagonistes importants: le major Heyward, jeune soldat méritant plein de noblesse d'âme mais encore inexpérimenté et un peu naïf forme avec Alice, la jeune soeur blonde et douce mais timorée et fragile, le couple de jeunes premiers sans envergure mais sympathiques et à qui on souhaite une fin heureuse tout simplement parce qu'on ne les voit pas assumer le rôle de héros tragiques. A l'inverse Uncas, le dernier des Mohicans, ultime descendant d'une lignée condamnée à disparaître, forme avec Cora la soeur aînée, métisse, un autre couple, tragique et plus complexe, celui de deux êtres menant avec courage et héroïsme un combat qui semble perdu d'avance. Enfin Munroe, Chingachgook et Oeil-de-Faucon sont des hommes d'expérience: à la différence de Cora et d'Uncas dont la sagesse semble innée et fait d'eux des êtres d'exception presque irréels, les trois hommes sont ancrés dans une réalité qui les rend pragmatiques: ils savent fuir, se cacher et ce seront les moins en danger durant tout le roman car leur vécu les rend plus prudents. Face à ce groupe de héros, Cooper nous oppose deux visages de l'ennemi; le français Montcalm, courtois, élégant, raffiné et chevaleresque mais dont la faiblesse et l'indécision font le malheur de nos personnages aussi sûrement que le "méchant" du livre, Magua, caricature de l'Indien vicieux et rusé.
Je ne suis pas assez calée sur l'histoire américaine et sur les Indiens pour vous dire si oui ou non Cooper a fait preuve d'une grande rigueur ou si, au contraire il s'est lancé dans un sujet trop vaste pour lui et a utilisé un ou deux clichés pour faire une bonne histoire. Bien qu'on le compare souvent à Walter Scott, Cooper n'a pas eu l'intention avec Le dernier des Mohicans d'écrire un roman historique; le seul événement "historique" du récit est le massacre de Fort Williams, événement d'une rare violence certes mais qui, s'il occupe une place centrale, n'en est pas moins un rebondissement parmi d'autres. Le Dernier des Mohicans est avant tout un roman d'aventures : enlèvements, combats, têtes de bébés fracassés contre un rocher, Indiens qui scalpent à tout va, pièges et déguisements... Cinq cent pages épuisantes et angoissantes pour le lecteur. Là où Cooper rejoint Scott, c'est dans sa conception du roman où, tout comme l'auteur écossais, il met en scène des personnages qui luttent pour un monde qu'ils savent condamné à disparaître. Cooper pense manifestement que la mort de la civilisation indienne est inévitable et, y voit-il un inconvénient, rien n'est moins sûr. En revanche, il admire ces destinées individuelles qui vont à contre-courant de la destinée collective, de même qu'il admire Munroe, homme d'honneur perdu face à un Montcalm plus politicien que vraiment méchant. Tout ça en tous cas fait du Dernier des Mohicans une oeuvre extrêmement réussie qui, malgré quelques longueurs au début et un peu sur la fin, malgré des dialogues ampoulés et une "morale" légèrement douteuse donne au roman d'aventure ses lettres de noblesse et fait passer à son lecteur un très agréable bien qu'éprouvant moment.