Rien ne s'oppose à la nuit
Delphine de Vigan
éditions JC Lattès
2011
Première lecture "officielle" de la rentrée littéraire, le livre de Delphine de Vigan, Rien ne s'oppose à la nuit, m'a posée un grave cas de conscience (enfin bon, grave, faut pas exagérer non plus). L'auteur dans ce roman a en effet pour ambition de "raconter sa mère", Lucile, qui s'est suicidée il y a quelques années. Elle revient sur l'enfance de cette dernière, issue d'une famille nombreuse pleine de chaleur mais aussi de zones sombres (Lucille aurait été violée par son père) ainsi que sur sa propre enfance, marquée par cette mère fantasque, souffrant de graves problèmes psychiatriques et qui a été internée à de nombreuses reprises. Inutile de vous cacher que c'est lacrymal. Inutile de vous dire aussi que ce roman est loué par tous; c'est tellement vrai. La question est la suivante: un roman est-il fait pour être vrai?
Je m'explique: imaginons un instant que ce livre soit une fiction, que Lucile n'ait jamais existé, qu'il s'agisse d'un personnage tous comme les autres personnes citées dans le texte. Qu'avons-nous alors? Nous avons un récit qui fleure bon le déjà-vu (mal-être, inceste, apologie du suicide parce que de toute évidence la vieillesse est le mal absolu) et un personnage principal qui n'est pas attachant pour un sou: Lucile nous est présentée comme une jeune fille arrogante et fainéante, pas très brillante, dont la vie manque singulièrement de cachet, qui se marie à peine sortie de l'adolescence et qui passe ensuite son temps entre médicaments et délires. C'est une soeur et une mère indigne. La première partie du livre est presque plus intéressante parce que nous avons deux personnages qui se détachent nettement, le grand-père et la grand-mère de la narratrice, Liam et Georges, dont la description en demi-teinte est très bien rendue par l'auteur. Mais la seconde partie, axée essentiellement sur l'enfance de la narratrice, est larmoyante, pleine de longueurs et offre au final peu de rebondissements...
Et là vous me direz stop. Et vous me direz que c'est dégueulasse de dire ça. Lucile n'est pas un personnage. C'était une femme qui il n'y a pas si longtemps vivait encore parmi nous. Tout comme trouver Georges plus intéressant que sa fille est affreux dans la mesure où il a sûrement violé cette dernière ou encore railler la douleur d'un auteur qui a sans doute sorti ses tripes pour écrire ce livre. Je sais tout ça mais alors pourquoi Rien ne s'oppose à la nuit est-il considéré comme un roman? Pourquoi ne pas l'avoir mis en documentaire? J'ai horreur d'être prise en otage et là, c'est exactement ce que fait Delphine de Vigan qui sous prétexte d'"écrire sa mère" nous prend émotionnellement au piège: elle impose son "je" pratiquement tout du long, s'interroge sans cesse sur ses sentiments, et étale sa souffrance sans la mise en scène minimum qu'exige un roman. A ce compte-là, pourquoi tout le monde ne publie-t-il pas son journal intime? Nous savons tous que l'écriture d'un livre est presque toujours plus ou moins inspirée de l'expérience personnelle d'un auteur. Cet auteur cependant n'a pas à nous balancer cette expérience à la tête histoire d'attirer notre sympathie, chose que manifestement bon nombre d'auteurs français nombrilistes n'ont toujours pas compris. Je suis pour un certain recul dans la littérature ou alors il faut faire carrément comme Rousseau et ses Confessions et compenser ce manque de pudeur par une mauvaise foi absolue et un style impeccable. Delphine de Vigan ne possède ni l'une (elle essaie au contraire de demeurer la plus objective possible sur sa mère, interrogeant presque tous ses proches) ni l'autre. Donc j'ose ici l'avouer haut et fort: non, je n'ai pas aimé le roman Rien ne s'oppose à la nuit. Prenez-moi pour un monstre si ça vous chante mais si vous-même vous avez aimé, demandez-vous si c'est vraiment la qualité de l'écriture ou l'intrigue qui est en cause ou uniquement votre empathie pour une femme endeuillée...